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Postmodernisme et « science studies » : introduction

Nombreux sont les livres, les textes, les articles, et les auteurs qui développent une pensée que l’on peut qualifier de postmoderne. Certains nient cet attribut, d’autres le revendiquent. Dans une nébuleuse extrêmement floue qui se veut telle d’une manière programmatique (casser les « anciennes frontières »), il est parfois difficile de trouver des définitions précises, des critères communs, de comprendre ou de décrire des caractéristiques analogues, et même de s’interroger sur les finalités d’un mouvement aussi désorganisé qu’insaisissable, et ce d’autant plus que certains défendent l’idée que le postmodernisme, à la mode dans les années 80 et 90 du siècle précédent, serait révolu. Or, la pensée postmoderne n’est pas révolue. Elle est même devenue « main stream », entrée dans le langage courant de personnes qui n’en ont même pas conscience.
Comme critère du postmodernisme, on ne peut trouver mieux que la volonté d’opérer une critique systématique de la pensée des Lumières, toutes disciplines confondues. Les sciences de la nature et les technologies qui se sont développées à la suite de la révolution industrielle se sont retrouvés sous les feux de la critique postmoderne, avec en règle générale, de la part de cette dernière, une volonté bien affirmée de « déconstruire » le discours scientifique. Pour un résumé/définition du postmodernisme en philosophie, une référence solide reste la suivante : https://www.britannica.com/topic/postmodernism-philosophy

Il convient d’insister sur le fait qu’il s’agit bien du postmodernisme en philosophie et, par extension, dans l’ensemble des sciences humaines et sociales. Il existe une autre forme de postmodernisme, plus structurée, en architecture. Cette dernière consiste en un mouvement de réaction contre les règles posées par l’architecture moderne, essentiellement fonctionnaliste, aux lignes épurées.

Le postmodernisme en philosophie est clairement une critique de la philosophie des Lumières. Cette critique n’est pas nouvelle. On la trouve déjà chez Jean-Jacques Rousseau, chez de nombreux romantiques, tels que Nietzsche ou, plus récemment, chez Spengler. Elle se caractérise par une absence totale de transcendance (celle de Dieu bien sûr, mais aussi celle des Idées ou des Valeurs autres que communautaires). Ce faisant, le postmodernisme porte atteinte à l’évolution des idées scientifiques, philosophiques, politiques ou économiques, et même religieuses par le biais d’une perspective rivée à la sociologie, aux mouvements d’opinion, aux identités culturelles.

Cette « sociologisation » à outrance a été également développée par les libertaires, mais aussi par des philosophes, généralement néo-marxistes, sous la houlette de plusieurs philosophes du 20ème siècle, tels que par exemple quelques représentants de l’école de Frankfort : Adorno, Horckheimer, Marcuse, Heidegger.
Les avatars du postmodernisme sont aujourd’hui extrêmement nombreux et parfois identifiables sous certains vocables : depuis le militantisme « moral » des « social justice warriors », au gauchisme culturel, en passant par la bien-pensance (celle d’aujourd’hui, pas celle du début du 20ème siècle), ou même la bonne conscience et « le droit d’ingérence » que certains appellent « droit-de-l’hommisme ».

On doit également y inclure l’inflation des droits culturels qui surpassent ainsi les droits des individus, prisonniers (essentialisés, dira-t-on) dans les cultures où l’on veut bien les incorporer ou auxquelles ils s’identifient selon les meilleurs critères de la tribu, sans cesse renouvelée. Ceci n’est pas une coïncidence, puisque le constructivisme culturel ramène chacun à son enfermement social, celui d’appartenir à un groupe minoritaire (afro-américain ou homosexuel) ou à un groupe traditionnellement « opprimé » (ex-colonies, femmes, etc.). Cet enfermement – en forme d’interaction avec le groupe dominant – étant en général « codé » a priori – par culture et non par nature – dans les entendements des personnes et dans la valeur qu’elles se donnent à elles-mêmes et à leurs capacités de se libérer.

Il existe indéniablement une part de vérité dans cette constatation et il est important de la reconnaître et d’en tirer les conséquences. Son problème majeur est qu’elle oublie souvent que les conditions économiques sont aussi – sinon plus –importantes que les conditions sociales et que le post-marxisme a vite fait d’abandonner les critères culturels et sociaux de la pauvreté en faveur des critères de la diversité.

Cependant, le constructivisme social va encore plus loin encore lorsqu’il devient déni de réalité du monde extérieur (objectif) ou déni de connaissance scientifique dans les sciences expérimentales… et c’est à ce déni que nous allons principalement nous intéresser.
Nous essayerons de familiariser le lecteur avec quelques uns des pans de cette pensée sans prétendre à aucune exhaustivité. Comme les mouvements postmodernistes sont essentiellement revendicateurs, donc chargés d’émotion et difficilement accessibles à une rationalité pacifiée, nous ne nous attarderons pas sur les thèses qui font appel aux appartenances pour accéder à la liberté, la dignité ou la simple reconnaissance.

Nous nous limiterons en revanche, à tout ce qui, dans la pensée postmoderne, fait usage idéologique de la critique de la science, se donnant ainsi une façade épistémologique ou cognitive particulièrement piégeuse. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l’une des branches de la pensée postmoderne, celle qui provient de la discipline dite « science studies » ou « science and technology studies », dont les piliers sont majoritairement des sociologues, des « anthropologues » des sciences, des politologues ou des philosophes. Pour une présentation des sciences studies voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Science_studies