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Réflexions pour la restauration du statut de la recherche scientifique et technique?

Depuis les années 80, un vent de relativisme souffle sur les sciences empiriques, celles qui sont fondées sur l’observation et l’expérimentation. Ce relativisme a de multiples raisons sociales, économiques, politiques et philosophiques (dont les plus importantes sur le plan idéologique sont le constructivisme social et le communautarisme qui s’en suit) et on aura à y revenir longuement.

Il amène de nombreuses conséquences, dont il convient de lister les plus importantes :

  • Une tentation toujours plus grande d’associer en les confondant science et politique, fait et valeur, ce qui a pour résultat que la controverse réellement scientifique (désaccord sur l’interprétation des faits) se retrouve dans les médias sans être associée aux rigueurs des évidences et des démonstrations, donnant ainsi l’image d’une querelle d’opinions ; à l’inverse, de nombreuses controverses sociales (désaccords sur les valeurs) se retrouvent labellisées « sociotechniques », renvoyant ainsi aux objets technologiques auxquels la controverse est imputée (ondes électromagnétiques, centrales nucléaires, OGM, etc.)
  • Une volonté de certaines forces politiques de considérer la science comme une opinion parmi d’autres (en oubli total de la méthode scientifique et des critères de vérité que la démarche scientifique impose) ;
  • Un forçage de la part d’activistes de la science dite « citoyenne » afin d’inclure les associations et les ONG dans la prise de décision au niveau scientifique ;
  • Une méfiance déclarée de la part d’un certain nombre d’intellectuels – y compris des scientifiques ! – à l’égard de la Raison, de l’Universalité, de la Vérité, ainsi que – mutatis mutandis – de l’ensemble des valeurs des Lumières avec un penchant vers une remise en question de l’objectivité de la science au nom d’un multiculturalisme étendu ;
  • Une méfiance ancienne et profonde à l’égard de la recherche technologique (toutes technologies confondues) considérée comme le suppôt d’une industrie qui, elle-même joue le jeu d’un capitalisme et d’une croissance injustes et pilleurs de ressources ;
  • Une méfiance – analogue et opposée – à l’égard de la recherche fondamentale, accusée de provoquer des dépenses « sans utilité en vue » ;
  • Une exigence philosophique et politique de démocratie participative appliquée aux questions scientifiques en dépit du bon sens citoyen (qui réclame volontiers d’être impliqué dans des décisions de démocratie locale), au nom d’un faux « malaise dans la société en ce qui concerne la recherche scientifique » (malaise réfuté par les sondages qui mettent la confiance des français dans les scientifiques au-delà de 80%).
  • Sur le plan du langage, une tendance à qualifier de « communauté » l’ensemble des scientifiques d’une même discipline, dont le rôle serait de fabriquer – au mieux – du consensus. Ce qui élimine ainsi tout lien avec un réel et une vérité.
  • Une proposition désormais lancinante d’ouvrir gratuitement les données scientifiques obtenues par la recherche publique, proposition dont l’intention semble bonne mais qui en réalité finira par faire le bonheur des grands groupes capables d’analyser des quantités d’information dans leur intérêt et non dans l’intérêt général.
  • Last but not least, une mise en méfiance systématique de l’expertise avec pour complément une montée en force de formes variées d’alter-science, allant jusqu’à l’implication des sectes dans les hôpitaux, le recul inquiétant des vaccinations (dont on voit aujourd’hui les résultats), l’arrêt de la recherche sur les PGM, etc.

Si l’on rajoute à cela que les Scientifiques, dans les sciences de la Nature et en recherche technologique, comme dans les Sciences Humaines et Sociales, voient leurs conditions de travail surdéterminées par des facteurs quantitatifs – publications, brevets, évaluations, citations – qui sont de plus en plus incompatibles avec l’émergence d’idées nouvelles ou l’exigence de créativité et d’innovation, ne serait-ce qu’en raison de la grégarité que ces conditions imposent, on comprend mieux que le pouvoir des chapelles domine alors sur les libertés individuelles, chacun étant tenu de faire avancer l’intérêt de son groupe (ses publications, ses référencements, ses financements, etc.) avant l’intérêt de la connaissance, tout cela au profit d’un système devenu avec le temps non maîtrisable.

Pour arrêter cette hémorragie et redonner à la recherche scientifique la position qu’elle mérite il est nécessaire et urgent que soient réinstaurées (ou instaurées une pluralité de démarches. Cette liste n’est pas exclusive :

  • Enseigner la méthode scientifique dès le Collège ou le Lycée et d’en répéter l’enseignement à chaque occasion. Cette méthode existe bel et bien (cf. schéma ci-dessous) ; elle peut et doit être utilisée en connaissance de cause ;
  • Permettre à la recherche publique de « conserver et développer ses capacités d’expertise au service de tous, notamment par l’expérimentation » (http://www.academie-sciences.fr/pdf/communique/pgm_170314.pdf)
  • Veiller à ce que les idéologies – principalement politiques – des Groupes et des Chapelles ne deviennent dominantes dans le milieu académique en évitant que les financements irriguent certains groupes aux détriments d’autres.
  • Éviter les généralisations et les mises en procès de professions complètes en raison de l’acte malveillant ou prédateur d’une minorité ;
  • Exprimer sur le plan politique l’importance et la valeur accordée à la recherche publique ;
  • Garantir la liberté d’une recherche publique rationnelle, approfondie et objective sans aucune condition attachée ;
  • Donner une formation de culture scientifique généraliste aux élus, aux décideurs et aux journalistes qui s’intéressent aux sujets scientifiques et techniques ; pérenniser ce genre de formation, selon les disciplines scientifiques concernées.
  • Sanctuariser l’expertise (mais pas nécessairement les experts) en garantissant que les études et recommandations soient clairement distinguées des avis et des prises de décision politiques.
  • Dénoncer d’une manière systématique les messages obscurantistes ou ceux qui portent atteinte aux valeurs de la science et à son éthique.
  • Rester vigilants sur la nécessité d’une politique des brevets, seule capable de donner à la recherche (même publique) un levier permettant la création de richesses.