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Introduction à la philosophie éthique

Conclusion

On l’aura peut-être compris, l’une des principales difficultés de la discipline éthique est qu’il n’existe pas d’accord fondamental sur ses prémisses. Le résultat en est aisément déductible : les éthiques se croisent, s’enchevêtrent, se contredisent sans qu’aucune synthèse ne soit possible, sans qu’aucune conclusion commune ne puisse surgir qui permettrait de poser le problème moral d’une manière unique, quitte ensuite à le résoudre selon des modalités diverses.

Il existe ainsi, bel et bien, une spécificité de l’éthique en philosophie, qui fait que pas plus l’objet que la méthode ou la finalité ne sont abordables dans une optique unifiée aboutissant à un débat constructeur. Pour être tout à fait pessimiste, je dirai qu’aujourd’hui il existe une mode de l’éthique comme il y eut une mode de consultation des esprits au 19ème siècle : tous les intellects qui comptent se doivent d’aborder cette question, faute de quoi ils risquent de paraître comme dépassés par les problématiques de leur temps.

Mais l’énergie ainsi perdue est immense et elle aurait pu être mise à un meilleur usage, ne serait-ce qu’à celui de tenter auprès des décideurs de clarifier ce qui relève de l’éthique d’une part et d’autre part ce qui relève du champ juridique ou politique, ce qui aurait pour mérite de mettre les élus et les législateurs devant leurs responsabilités, au lieu de les laisser fuir ces responsabilités en les posant sur les épaules de comités d’éthiques ou autres cercles incapables de mettre des décisions en exécution ou même incapables d’aboutir à un consensus tant les postulats des uns sont différents des postulats des autres.

Le résultat en est le plus souvent que les comités d’éthiques sont le premier pas vers des réponses juridiques aux questions ainsi posées, ce qui amène deux dangers de natures différentes:
– le premier est celui de demander à une législation plus qu’elle ne peut – ou ne doit – donner et aboutir ainsi à une prolifération de décisions juridiques universalisables là où les décisions éthiques, au cas par cas, auraient été suffisantes et même recommandables,
– le second est d’institutionnaliser à tort l’éthique comme une branche de la politique ou de la sociologie, la rendant constamment dépendante d’un consensus collectif alors que la grandeur de la démarche éthique est précisément liée à la conscience morale individuelle et à la capacité de celle-ci de se rebeller singulièrement contre toutes les décisions politiques ou sociales auxquelles elle se retrouve confrontée.

D’aucuns pourraient rétorquer – et, sur le plan pratique – ils auraient sans doute raison, qu’il vaut mieux une éthique canalisée par les voies collectives que pas d’éthique du tout. Reste que la grandeur de l’idée de la personne singulière et de ses choix, de sa capacité inaliénable de dire Non, font partie d’un héritage de la morale occidentale que celle-ci aura sans doute du mal à abandonner tout à fait. En l’absence de pédagogie éthique, d’éveil systématique des consciences singulières, ils sont encore nombreux qui, presqu’intuitivement, prendront toujours parti

– pour le pauvre contre le riche,
– pour le faible contre le puissant,
– pour l’ignorant contre l’instruit,
– pour l’humilié contre son tourmenteur.

Tout le long de l’histoire de l’humanité, les valeurs étaient encouragées au sein des différentes communautés pour leur bien-être et afin qu’un minimum de paix sociale puisse être assuré en leur sein. Aujourd’hui, dans une mondialisation galopante, il est de plus en plus difficile de regarder les misères du monde à la télévision, puis d’appliquer les principes éthiques à sa propre communauté à l’exclusion de toutes les autres, comme si elles n’existaient pas ou – pis! – comme si elles n’étaient pas humaines.

Petit à petit, trop lentement sans doute, une conscience éthique est en voie d’atteindre chacun. Mais il faut espérer que l’on y réfléchira sérieusement avant que l’œil de la conscience ne vienne à s’ouvrir trop tard et à ne regarder Caïn que dans sa tombe.