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Histoire de la propriété individuelle – Chapitre IV

Retour vers le terrotoire

2nd chapitre

Pour mieux le comprendre, il faut garder présent à l’esprit le fait que le territoire (géographique ou symbolique) est conscient, mais pas toujours rationalisé, dans le sens de démystifié. A ce titre, il ressemble beaucoup à la propriété archaïque en tant que lieu où s’exerce le pouvoir des dominants sur tous les autres. Il est le prétexte de l’appartenance, son champ de manœuvre, sa source et sa finalité. L’appartenance au groupe et l’appartenance au territoire se renforcent mutuellement puisque le groupe se définit, en partie, par son territoire. Et, comme toujours, lorsqu’on aborde le sacré collectif, ce renforcement aboutit dans des conditions extrêmes à la mort, la sienne propre ou celle d’autrui, mort réelle ou mort symbolique. Il n’y a qu’à observer le combat que se font sans relâche les multinationales pour comprendre que l’acquisition et la préservation des territoires – parfois en dépit de toute rationalité économique, uniquement pour la gloire ou pour l’honneur – ne se fait jamais sans dégâts et sans sacrifices à l’irrationalité la plus profonde. Certes, il avait été prévu par les grands penseurs de la science économique, qu’homo economicus était avant tout un animal doté de raison; mais face aux conflits tribaux (nous contre eux, les bons contre les méchants), la raison économique elle-même est capable de vaciller.
Si le conflit, si la guerre est nécessaire pour la préservation du territoire, alors la guerre est une nécessité tout court. Car il n’y a pas de collectif sans territoire et guère de territoire sans conflit (en dehors peut-être de celui de quelques mathématiciens, seuls à comprendre quelque chose à leur champ d’études….et que le reste des humains laisse prudemment en paix!)
La notion de territoire prend un tournant révolutionnaire à partir du moment où les groupes humains passent du nomadisme à la sédentarité. Il ne s’agit absolument pas de dire ici, à la manière de Rousseau, de Tocqueville et de tant d’autres, que la propriété privée advint le jour où un seul individu – agriculteur égocentrique dans l’âme! – entoura un lopin de terre et proclama : ceci est à moi! Un tel individu n’a certainement pas existé avant une époque relativement récente. Par contre, un jour, il est devenu évident pour les groupes sédentaires qu’il est dans leur intérêt de préserver la terre arable à leur disposition et, le cas échéant, d’en augmenter la superficie.

Le premier collectif qui a fait une évaluation quantitative (en termes d’extension et de production) et symbolique (en termes de prestige, d’honneur et de gloire) de ses ressources et de son pouvoir et qui a imaginé qu’il lui était possible d’augmenter les deux sensiblement en s’adjoignant d’autres terres (occupées ou non, riches ou non), celui-là est à l’origine, non de la notion de territoire, ni de celle de propriété privée, mais de l’idée impérialiste.

Est-ce ici que commence le capitalisme? Il est légitime d’en douter. Il y a plus de dix millénaires, l’accumulation de richesses pour elles-mêmes ne viendrait jamais à l’esprit de peuplades vivant en si étroite dépendance avec le sol et le bétail. D’ailleurs, il faut peut-être aussi envisager, ainsi que l’affirment certains chercheurs, que le changement de statut – de nomade en sédentaire – ait même été une régression dans les conditions de vie de l’être humain. Passage du régime carnivore au régime céréalien, perte des capacités prédatrices, amenuisement des ressources et, surtout, une dépendance qui frôle la servitude aux conditions météorologiques et aux multiples aléas qui contraignent la production agraire.

Cependant, le tempérament guerrier des tribus, nomades ou sédentaires, ne s’est pas affaibli pour autant. Bien au contraire, alors que le territoire pouvait être partagé tacitement entre plusieurs groupes nomades, pourvu qu’ils respectent chacun les frontières symboliques de l’autre, dès que les groupes devinrent sédentaires, le territoire agricole (ou potentiellement tel) s’est inéluctablement transformé en une source nouvelle de conflit.

Alors que pour les sociétés nomades, le territoire avait seulement (si l’on peut dire) une signification symbolique d’enracinement, de religiosité floue et de dépendance vitale, la sédentarisation en a fait quelque chose de plus solide, de matériel ; les limites se sont précisées et durcies, alors même que les frontières n’étaient pas encore tracées ; le désir de puissance et de domination s’est encore plus focalisé sur quelques bouts de terre.

Contrairement à ce que beaucoup de géographes, de juristes ou de politologues disent, le territoire objectivé ne commence pas avec l’époque moderne. Toutes les cités grecques avaient le leur. Elles le défendaient bec et ongles et n’avaient – pour quelques unes d’entre elles – qu’un ardent désir, celui de l’étendre le plus loin possible. Tous les grands empires historiques, ceux des Mèdes, des Babyloniens, des Égyptiens, des Chinois, des Incas etc. tous fonctionnaient – pour ce qui concerne ce que je qualifierai désormais de « pulsion impérialiste » – exactement de la même manière, même si la force de la pulsion pouvait varier.

Aux origines de l’impérialisme

C’est avec le territoire objectivé – devenu un enjeu en soi – que naît l’impérialisme. Ordinairement, on s’accorde à penser que l’impérialisme accompagne…les empires. En fait, ce sont les empires qui sont le fruit, entièrement aléatoire, de la pulsion impérialiste, elle-même une conséquence directe de la logique tribale, à partir du moment où les collectifs prennent conscience du fait que la superficie du territoire est une valeur de plus à rajouter à leur tableau de chasse et d’accumulation des honneurs, des gloires et des richesses. Car l’impérialisme n’est pas uniquement proportionnel à ces dernières, même si elles sont bien présentes au moins depuis l’âge de fer. Antique ou moderne, une nation impérialiste cherche à dominer, à augmenter son pouvoir, même quand cela est clairement contre-productif en termes de coûts en richesses humaines et matérielles.

Cherche-t-on un témoignage? Un cri du cœur pourrait être là aussi suffisant. Dans la Biographie d’Agricola, Tacite donne la parole à un chef Breton, Calgacus, qui sait que son peuple aura à affronter le redoutable pouvoir romain. Voici un bref extrait de sa description de l’impérialisme romain :

« Le monde entier est leur proie. Ces Romains, qui veulent tout, ne trouvent plus de terre à ruiner. Alors, c’est la mer qu’ils fouillent! Riche, leur ennemi déchaîne leur cupidité, pauvre, il subit leur tyrannie. L’Orient, pas plus que l’Occident n’a calmé leurs appétits. Ils sont les seuls au monde qui convoitent avec la même passion les terres d’abondance et d’indigence. Rafler, massacrer, saccager, c’est ce qu’ils appellent à tort asseoir leur pouvoir. Font-ils d’une terre un désert? Ils diront qu’ils la pacifient ».

Malheureusement, « ils » ne sont pas les « seuls au monde ». Les Romains ne font qu’agir de la même manière que ferait n’importe quel autre collectif capable de se comporter comme eux. La pulsion impérialiste est universelle dans les tribus de la planète. Principale différence : toutes n’ont pas la chance – les capacités ou les circonstances – qu’ont eue les Romains de la voir s’actualiser avec autant d’éclat.

Cependant, il nous faut ici faire attention aux termes utilisés dans la mesure où la notion d’impérialisme (comme tous les mots en « isme ») est de création moderne et donne, à juste titre, l’impression d’une idéologie construite et préméditée. J’insiste donc là-dessus. Il s’agit bien d’une idéologie – l’une des idéologies les plus clairement tribales qui plus est, et par suite, des plus proches de l’essence de la nature humaine – et l’absence du mot ne signifie nullement l’absence de la chose.

L’impérialisme (et non l’empire) naît de la faculté que possède un groupe humain d’imaginer qu’il peut augmenter sa puissance et sa domination sur les autres simplement en engrangeant des « lieux de domination », c’est-à-dire en élargissant son territoire aux dépens des leurs. L’impérialisme des cités grecques, par exemple, fut tel qu’elles étaient parfaitement disposées à entrer dans des conflits sans fin, y compris pour quelques terres à la fertilité douteuse. L’impérialisme aboutit parfois à la création d’empires, mais tous les impérialistes – c’est-à-dire tous les groupes humains qui envisagent non seulement de maintenir leur pouvoir mais aussi de l’augmenter – n’ont pas la chance d’y réussir.

L’impérialisme est en effet l’une des forces obscures de la puissance collective. Le groupe tente de devenir de plus en plus puissant et dominateur exactement de la même façon que les espèces végétales ou animales ont tendance à s’étendre et à investir les lieux, tant que d’autres espèces ne viennent pas contrecarrer leur avancée.

Il existe donc des formes d’impérialisme qui n’ont rien à voir avec les empires historiques classiques. L’extension du pouvoir du groupe est certes premièrement rendue possible sur les terres, mais la capacité de domination extensive s’est vite élargie vers la domination des mers (depuis que les techniques l’ont rendue possible), puis vers des formes de domination plus insidieuses, symboliques, commerciales, financières, etc. qui sont toutes des élargissements de territoire.

L’impérialisme est la tournure d’esprit collective qui permet à un groupe d’étendre son territoire et de servir ses intérêts aux dépens du territoire et des intérêts d’autrui. Son fonctionnement est tel qu’il est possible d’affirmer la règle suivante, à mon sens universelle: à chaque fois qu’un groupe humain se sent la capacité de tenter une domination sur autrui par le biais de la domination de son territoire, il le fera. Y parvient-il? Ceci est une autre question. Mais si les portes de l’annexion des territoires voisins ou compétiteurs leurs sont ouvertes, bien rares seraient les groupes humains constitués (avec des logiques chargées de « patriotisme », du sens de l’honneur et de la gloire, etc.), qui n’en profiteraient pas.

Cette tendance naturelle à la prise de pouvoir sur le territoire adjacent au sien a fonctionné admirablement dans les cas des grands impérialismes du passé. Comme un individu qui, à la vue d’une montagne, n’a de cesse de l’avoir escaladée, la tribu, face à la possibilité de s’adjoindre le territoire voisin et d’en asservir les occupants, ne peut imaginer de faire autrement. La tribu est par définition une entité prédatrice et à ce titre elle ne peut guère changer de nature et se transformer en une entité bienveillante. La nécessité de l’impérialisme est donc elle-même impérieuse dans les groupes humains, que l’on parle des grands empires du passé, de ceux du présent ou de tous ceux, anonymes et pour cause, qui auraient bien voulu mais qui n’ont pas pu.

Qu’est une entreprise multinationale aux dents acérées et à l’esprit de domination exacerbé qu’une forme d’impérialisme comme une autre? Certes, son territoire est devenu si symbolique que – en cette période de globalisation – il se construit sur la planète entière. Mais, dans les guerres que se font les grandes entreprises ou même les grandes institutions, l’on reste bien dans des luttes territoriales. Il existe un critère très simple pour les identifier : face à ce genre de guerres, les recommandations éthiques (santé, environnement, endettement) n’ont aucun pouvoir et seules les limitations politiques – si elles adviennent – peuvent calmer les appétits des ogres tribaux qui se nourrissent du conflit : un exemple parmi les plus disants est celui des fabricants de cigarettes ou d’alcools dont les ambitions illimitées ne peuvent être stoppées que par des lois et un pouvoir politique attentif. Et la victime reste toujours la même : les plus vulnérables parmi les citoyens des sociétés attentives au bien des populations et les plus politiquement faibles parmi les nations.

Impérialisme et capitalisme

Cette manière de voir l’impérialisme n’a guère été possible au cours des siècles passés.

Première raison : la pensée occidentale s’est focalisée sur l’action de l’individu et non sur celle du collectif et l’impérialisme est devenu le fait de l’empereur (fût-il Alexandre ou Napoléon). Cette manière de voir est bien entendu complètement naïve. Comme si Alexandre ou Napoléon auraient pu exister à eux seuls, sans le concours de cet élan militaro-populaire qui les a poussés à aller de l’avant! Un être humain individu n’est jamais un bâtisseur d’empire. On peut par contre imaginer que certains collectifs fassent naître en eux, à certains moments, les hommes « providentiels » dont se nourrit la pulsion impérialiste inhérente au collectif.

Deuxième raison : cette même pensée occidentale a accordé à la propriété individuelle une place importante dans le développement de l’impérialisme moderne ; et comme la propriété privée individuelle n’existait pas dans les époques passées, la continuité de la pulsion impérialiste en a été moins visible.

Enfin, troisième raison : comme cette pensée occidentale moderne est restée fortement concentrée sur elle-même, et comme elle a coïncidé avec la prise de conscience de la notion d’accumulation du capital, elle a lié les finalités spécifiquement capitalistes au fonctionnement de la pulsion impérialiste, transformant celle-ci en une activité qui ne serait que le fruit de l’époque moderne.

Or, n’en déplaise à Max Weber ou à Lénine, et en l’absence de toute éthique, protestante ou autre, il est probable que le capitalisme n’a fait qu’amener un supplément d’eau aux multiples moulins de l’impérialisme. Il en est devenu une justification supplémentaire. Le capitalisme, rappelons-le, est une nouveauté conceptuelle amenée entre autres par l’idée monothéiste que chaque être humain, à titre individuel, a le droit d’acquérir des richesses, de les transmettre et – surtout – d’en être moralement responsable. Le concept du capitalisme est donc lié à la fois à l’abstraction de la notion de richesse et à la prise de conscience de la possibilité politique, juridique et éthique de la propriété individuelle.

La quasi-totalité des empires – chinois, persan, romain, arabe, inca, etc. – n’ont pas eu pour finalité l’accumulation individualiste de richesses et nombreuses ont été les puissances impérialistes qui, contre toute logique d’accumulation collective de richesses, détruisaient tout sur leur passage. Toutes, en revanche, cherchaient à l’infini l’augmentation de pouvoir, d’honneurs et de gloire, même lorsqu’elles limitaient volontairement leur expansion géographique. Les richesses – le seul appât du gain (butin, esclaves, etc.) – ont certainement encouragé les soldats, mais les décisions de dominer ont été faites au nom de la Cité, du dieu, de la Civilisation, mais jamais au titre de la seule appropriation de richesses.

Bien entendu, les guerres ont souvent eu aussi des justifications économiques, puisque certaines formes de munitions, les métaux en particuliers, sont vitales depuis la nuit des temps. Mais la guerre n’est pas l’impérialisme et toutes nations en conflit pour des intérêts matériels ne se transforment en puissances impérialistes que si leurs circonstances et leurs capacités les y autorisent. Autrement, dans les situations banales où les conflits portent sur les biens et non sur les territoires, sur les richesses et non sur les rapports de pouvoir, les traités viennent à point pour conclure des alliances ou des relations marchandes. C’est d’ailleurs une pratique que les grands empires eux-mêmes ont utilisée avec les entités limitrophes trop éloignées ou trop puissantes, précisément celles face auxquelles le réflexe impérialiste s’est trouvé affaibli par un principe de réalité suffisamment pragmatique.

Comment réussir son empire?

L’empire est un système de pouvoir complexe régi par le désir de domination via l’extension de territoire. Ses valeurs sont principalement celles de l’honneur, de la fierté et de la gloire (ce qui l’identifie donc clairement comme une excroissance des systèmes tribaux). Son mode de fonctionnement repose sur une sophistication poussée des mêmes valeurs utilisées dans les tribus sans empire. Sa durée et son prestige dépendent principalement

  • d’une puissante armée
  • d’une forte administration, à tendance bureaucratique,
  • d’une ingénierie efficace, capable d’établir et d’entretenir
  • une infrastructure étendue et enfin
  • d’un solide système juridique.

Il est important de remarquer la proximité dans ces critères entre les impérialismes politiques et les impérialismes économiques ou financiers. La Corporation est une structure impérialiste comme les autres, dont le talon d’Achille réside dans le fait qu’elle doit reposer sur une santé financière de nature capitalistique. C’est d’ailleurs ce qui fait l’énorme différence entre une faillite d’État et une faillite d’entreprise.
Nous aurons à y revenir.

Pas plus que par la seule richesse de nature capitaliste, l’empire n’est concerné par la culture…sauf dans la mesure où elle consolide son pouvoir et lui permet donc d’étendre son territoire. Nul besoin donc d’une grande culture pour exercer une puissance impériale. Parfois, au contraire, une culture un peu trop sophistiquée – capable de créativité, de doute et de nuances – peut devenir un handicap pour la « pulsion impérialiste ». L’empire ne s’étend en effet qu’avec l’assurance de sa bonne raison, de sa croyance en ses capacités et, pour certains, en sa mission d’apporter « la » civilisation au monde. Mais attention, ce système de valeurs ne doit comporter ni des doutes ni des problématiques difficiles à comprendre. Une culture minimale – et fondée dans son bon droit – suffit amplement.

Preuves en sont quelques uns des grands empires passés ou actuels. L’empire romain était doté d’une culture de loin moins fine que, par exemple, l’empire athénien. L’empire ottoman ne possédait en rien les nuances et la versatilité culturelle de l’empire abbasside. Et l’empire américain, aujourd’hui, exporte une culture d’autant plus aisément exportable qu’elle est facile à comprendre et sans grands états d’âmes.

Si la préoccupation affichée de certains empires est d’avoir une mission civilisatrice, la finalité réelle de l’empire demeure toujours la même, celle de l’extension, de la domination et de la préservation du territoire. Le reste – les modalités « techniques » – est une simple affaire de sens commun. En effet, l’armée puissante et innovante est nécessaire pour pouvoir « tenir » les territoires occupés, l’administration efficace est requise pour constituer un réseau périphérique de gestion – et de perception des impôts – aveuglément fidèle au Centre, le système juridique doit permettre de justifier les modalités d’apaisement du territoire et, enfin, l’ingénierie efficace est incontournable pour la construction des infrastructures – routes, ponts, etc. – qui permettent d’exercer un pouvoir réel sur le sol même des territoires dominés.

Si l’on garde présents à l’esprit quelques uns des grands empires du passé (Chine, Rome, La Grande Porte) on s’aperçoit aisément du fait que ce sont bien ces conditions qui leur ont permis de venir à l’existence, de s’étendre et de se maintenir le plus longtemps possible. Si l’on s’essaye à un autre exercice, peut-être plus intéressant, qui consisterait à comparer entre les grands empires du passé (tels que les précités) et d’autres formes impérialistes du présent (telle multinationale pétrolière ou telle puissance financière), on voit aussi à quel point les conditions requises pour un impérialisme réussi restent les mêmes. Certes, l’armée est remplacée par une force de frappe d’une autre nature. Mais l’efficacité de l’administration, de l’ingénierie et du service juridique sont des moteurs essentiels dans les grandes entreprises. Et le but demeure le même : engranger toujours davantage de pouvoir.

Le cas des grandes entreprises donne, du reste, un exemple lumineux de la distinction entre capital et pouvoir. En effet, le capital est souvent détenu par des actionnaires dont la multitude et l’anonymat garantissent le plus souvent qu’ils n’ont guère de pouvoir au sein de leurs propres entreprises. Et la direction générale est le véritable détenteur du pouvoir : à ce titre, elle se dote également des moyens d’accumuler des richesses pour elle-même et, seulement au second plan, d’en redistribuer aux actionnaires dont le pouvoir sur leur propriété privée (celle de quelques actions) se limite à leur capacité de spéculation.

J’avais fait mention, dans les chapitres concernant la propriété individuelle, d’un détournement moderne de cette valeur fondamentale amenée par le monothéisme. La propriété sans responsabilité est devenue aujourd’hui la caractéristique principale de l’entreprise. La rigueur protestante est bien éloignée de cette forme de capitalisme…et l’éthique – sous toutes ses formes – y est forcément perdante. Mais ceci ne devait pas se passer ainsi sans le détournement de la notion de propriété au cours des 18ème et 19ème siècles, d’une manière telle qu’elle est vite devenue le symbole de l’oppression, de l’injustice et… de la lutte des classes.

Histoire de la propriété individuelle